Dans un contexte de grands bouleversements,le rapport au travail a évolué… et pourrait
encore changer.
Dans le débat public, les questions liées à l’emploi ont laissé place depuis quelques années à celles liées au travail. Désormais, on interroge sa forme, son organisation, les aspirations des travailleurs et la place qu’il occupe dans leur vie. Ce changement de perspective a été progressif, mais s’est accéléré dans la période post-Covid. Si la crise sanitaire a été un catalyseur de l’évolution du rapport au travail, d’autres bouleversements sont apparus par la suite : pénurie de main-d’œuvre, inflation, dialogue social plus difficile… Dans ce contexte, quel pourrait être le rapport qu’entretiendront les salariés avec leur travail dans une dizaine d’années ?
Au printemps 2021, les États-Unis ont connu un phénomène de départ massif des travailleurs baptisé « Grande Démission» : 38 millions de personnes ont quitté leur emploi cette année-là, dont près de la moitié n’en avait pas d’autre au moment de cette prise de décision. En France, le nombre de démissions a lui aussi atteint un niveau historiquement haut fin 2021, début 2022, mais sans commune mesure avec la situation américaine. Toujours est-il qu’entre la crise sanitaire, la crise sociale et la crise économique, le rapport au travail des salariés a grandement évolué.
Pour Corinne Moreau, fondatrice de Como Consulting, cabinet de conseils en ressources humaines et elle-même ancienne DRH, c’est essentiellement la première qui a bouleversé ce rapport. « L’inflation et la crise sociale ne sont pas des choses inédites. Même si cela reste difficile, les gens savent les gérer d’une manière ou d’une autre. Cela n’a pas été le cas pour la crise sanitaire qui a été quelque chose de complètement nouveau et brutal où tout le monde s’est brusquement retrouvé à la maison. Le télétravail a alors complètement changé le rapport au travail. » Alors que les entreprises françaises étaient plutôt Réticentes au télétravail avant 2020 par crainte d’un manque de productivité, c’est plutôt l’inverse qui s’est produit. Ainsi, la crise sanitaire a fait basculer la France d’un télétravail anecdotique à un télétravail massif, et trois ans plus tard, employeurs et salariés y trouvent leur compte. D’après la 10ème édition du baromètre Actineo, 72 % des actifs en 2023 travaillent en dehors du bureau, même occasionnellement et la grande majorité est satisfaite de ce mode de fonctionnement. D’ailleurs, le même baromètre indique que près de la moitié des Français aimerait télétravailler davantage à l’avenir, jusqu’à 2,5 jours par semaine.
Un nouveau rythme de travail
Si le télétravail séduit autant, c’est notamment car il limite les temps de trajet, engendre moins de fatigue et offre de bonnes conditions pour exercer. Mais ce qui prime est qu’il permet un gain d’autonomie dans l’organisation de son temps de travail. « À domicile, on ne construit pas sa journée de la même manière, c’est la deuxième transformation majeure du rapport au travail. On passe d’un dossier à traiter à une activité personnelle, et la journée de travail est aussi plus intense car il y a moins d’interférences. Les salariés ont aussi agrandi leurs plages horaires et la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle s’est réduite. On peut bien sûr le regretter, mais c’est aussi cela qui donne beaucoup de liberté. Il n’en reste pas moins que l’entreprise doit veiller à ce que ses salariés ne travaillent pas plus Que de raison ou à des horaires Non adaptés », analyse Corinne Moreau. En parallèle, le bureau n’est pas boudé et reste le lieu de socialisation par excellence : « [Les actifs] y recherchent avant tout l’interaction avec les autres et les dimensions fonctionnelles », affirme Actineo dans son baromètre. Cependant, plus d’un tiers des salariés disent avoir du mal à se concentrer au bureau et la satisfaction au travail a reculé de 10 points entre 2019 et 2023 pour s’établir à 77 % des actifs. La part des salariés pensant que leur employeur ne se préoccupe pas de leur bien-être au travail est en hausse et quatre sur dix ne se sentent pas écoutés par leur hiérarchie : 30 % de ceux interrogés par Actineo envisagent même de quitter leur travail dans les prochains mois.
Un détachement vis-à-vis de l’entreprise
Dans ce contexte de transformations multiples, Corinne Moreau observe un détachement du lien à l’entreprise, mais réfute l’idée d’une perte de la valeur travail. « Il y a de plus en plus de travailleurs hybrides ou slashers : des salariés qui ont à côté créé leur petite entreprise et sont en plus bénévoles, faisant tout cela en même temps. Les employeurs devraient d’ailleurs optimiser ces capacités de leurs salariés, car on a toujours voulu recruter des gens qui avaient un esprit « entrepreneurial». Il est important d’appréhender les individus dans l’ensemble de leurs facultés. » Ce détachement du lien à l’entreprise est aussi visible au travers d’un autre phénomène : les salariés ont tendance à quitter plus souvent leur entreprise pour une autre…Mais sont aussi plus nombreux aussi à y revenir, apportant avec eux de nouvelles compétences. Ces « salariés boomerang » témoignent aussi d’une évolution du marché du travail, plus favorable à les accueillir de nouveau après un temps passé ailleurs. Pour la fondatrice de Como Consulting, les entreprises doivent donc, en plus de favoriser l’intégration des nouveaux salariés, porter une plus grande attention au processus de départs afin d’accompagner au mieux les salariés concernés et ainsi maximiser les chances qu’ils reviennent un jour, forts d’expériences supplémentaires.
Recherche de sens et individualité
La crise sanitaire a fait évoluer notre façon de travailler, mais également les raisons pour lesquelles nous travaillons. Bien que la question de la quête de sens dans l’activité professionnelle n’ait pas attendu la pandémie pour apparaître, celle-ci semble se faire plus forte et surtout avoir évolué, liée à la problématique du bien-être au travail. « La recherche de sens a toujours existé, mais aujourd’hui le salarié a besoin que cela passe autrement. Il est à la fois en recherche de liberté et de valorisation en tant que personne, la recherche de sens étant liée à celle de l’individualité », détaille Corinne Moreau. Ainsi, la spécialiste estime que l’entreprise et le manager doivent davantage se soucier de la qualité de vie au travail de leurs collaborateurs, ceux-ci désirant des supérieurs plus à l’écoute, avec davantage de bienveillance, sachant développer leurs compétences et travaillant dans une démarche inclusive. « Les salariés n’acceptent plus l’incohérence entre les valeurs décrétées par l’entreprise et celles réellement mises en œuvre au quotidien. C’est devenu un véritable enjeu. » L’ancienne DRH défend d’ailleurs un point de vue – faisant débat dans le milieu – selon lequel le salarié est aujourd’hui devenu un « consommateur » au sein de son entreprise : comme cela peut être fait pour un client, l’employeur doit lui apporter des moments clé tout au long de son parcours collaborateur. « On est vraiment sur du marketing, à tel point que certaines sociétés ont intégré des profils marketings dans les services RH, ce qui me semble assez pertinent. » Dans les moments clé, le salarié est ainsi en recherche d’accroissement de ses compétences à travers un parcours adapté à son individualité. Le salarié souhaite pouvoir « consommer des formations », ainsi les évolutions sous forme de missions délimitées dans le temps sont de plus en plus prisées au sein de l’entreprise, ce qui n’est pas sans poser problème aux managers et aux équipes RH. S’il est difficile de présager ce que sera le rapport au travail des salariés d’ici une dizaine d’années – la crise sanitaire nous ayant bien montré que tout pouvait être renversé dans un délai très court –, les nouveaux modes de fonctionnement semblent bien ancrés, à l’image du télétravail qui a perdu son caractère exceptionnel, rendant un retour en arrière presque inenvisageable. Désormais, le travail occupe une place moins centrale dans la vie des Français et les symboles de réussite professionnelle hérités des Trente Glorieuses sont en perte de vitesse. Jusqu’aux prochains bouleversements ?
Futur du travail : ce que veulent les salariés
- Un aménagement des lieux de travail donnant la priorité au bien-être des salariés : espaces conviviaux, respect des temps de déconnexion, etc.
- Une grande importance donnée à la préservation de l’environnement sur les lieux de travail : bâtiment et matériaux écologiques, bâtiment basse consommation, mobiliers recyclés, etc.
- Un équipement en mobiliers ergonomiques au domicile réalisé par l’entreprise pour leur permettre de travailler confortablement.
- Généraliser la semaine de 4 jours (32 h de travail).
- Liberté de travailler depuis l’endroit de leur choix.
Dossier réalisé par Marine Couturier pour le magazine RH.